Droit des artistes

Rencontre avec Jean-Christophe Lardinois et Bernard Mouffe

 

Les artistes sont aujourd’hui de plus en plus nombreux et œuvrent dans des voies de plus en plus variées. Dans les enquêtes, le nombre d’artistes qui se déclarent professionnels double tous les vingt ans.

Comment le droit de artistes s'est-il développé au cours de ces dernières années ? Échange entre Jean-Christophe Lardinois, avocat au barreau de Bruxelles, assistant chargé d’exercices à l’ULB et Bernard Mouffe, avocat au barreau de Bruxelles, maître de conférence à l'UNamur et à l'UCLouvain, à l'occasion de la parution de leur ouvrage « Droit des artistes ».

Jean-Christophe Lardinois : Notre ouvrage, le « Droit des artistes », vise précisément quels artistes ?

Bernard Mouffe : Il s’est adapté à notre temps. Il vise certes les arts dits majeurs, comme la peinture, la sculpture ou l’architecture mais aussi tous les arts dits mineurs : la musique, les arts décoratifs, le design, la tapisserie… Et il englobe d’autres pratiques artistiques jusqu’alors considérées comme périphériques, comme le graphisme, la vidéo, la photo, la publicité… L’ordinateur permet aujourd’hui à des personnes qui ne savent ni dessiner, ni composer, de produire des œuvres avec un fort contenu esthétique. Le monde de l’art s’est ainsi considérablement amplifié, il est plus étendu, plus exubérant mais aussi plus perméable.

Bernard Mouffe : On dit que la nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique va améliorer la position des titulaires de droits.

Jean-Christophe Lardinois : C’est exact. La Directive en question de 2019 qui devrait bientôt être transposée dans notre droit positif comprend notamment des mesures concernant certaines utilisations de contenus protégés par des services en ligne, ainsi que des dispositions relatives au droit des contrats des auteurs et des artistes.

Une des nouvelles dispositions majeures est effectivement celle par laquelle les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (tels que Youtube …) devront obtenir l'autorisation des titulaires de droits lorsqu'ils donnent accès au public à des contenus protégés par le droit d'auteur ou les droits voisins qui y ont été transférées par leurs utilisateurs. Ensuite, en termes de dispositions contractuelles, la directive contient des mesures visant à assurer que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants (acteurs, chanteurs, musiciens, etc.) reçoivent une rémunération appropriée et juste pour l’exploitation de leurs œuvres et prestations, prévoyant à cet effet une obligation de transparence dans le chef des producteurs, éditeurs qui exploitent leurs créations.

JCL : Jusqu’où un artiste peut-il être encore aujourd’hui transgressif ?

BM :  En bien comme en mal, c’est le propre de l’art de transgresser les frontières de la morale et du droit : blasphème, propagande, racisme, atteinte à la dignité humaine, obscénité… Mais nous assistons aujourd’hui à un retour d’une forme d’intransigeance moralisatrice. En ce compris en réveillant des actes du passé, pourtant largement prescrits, ou, par la cancel culture, en refusant de dissocier œuvres d’art et vie privée. L’antisémitisme avéré de Céline n’empêchait pourtant pas que l’on puisse lire et diffuser ses œuvres. Un principe remis aujourd’hui en question. En s’appuyant sur de nombreux exemples anciens et concrets, notre ouvrage pose la question de la légitimité de l’art comme outil traditionnel de transgression.

 

BM : Y a-t-il de nouvelles perspectives économiques pour l’industrie artistique ?

JCL : Force est de constater que les domaines de la crypto monnaie et de la blockchain ont envahi dernièrement les secteurs des œuvres d’art, de la musique, voire même des jeux vidéos.

Si l’achat de biens numériques uniques n’est pas une nouveauté en soi, les « NFT » ouvrent des perspectives inédites, en particulier pour la rémunération des artistes. Un  « NFT » se présente comme un certificat d’authenticité pour un objet, virtuel ou réel. Il est unique et ne peut pas être échangé contre un équivalent, d’où son nom : « Non-Fungible Token », qui signifie « jeton non fongible » en français.

À l’heure où Spotify est pointé du doigt pour son système de rémunération inégalitaire, ces jetons uniques pourraient permettre aux artistes-interprètes de s’affranchir des contraintes du streaming musical et de redévelopper un lien avec leurs nombreux fans.

JCL : La presse récente a répercuté le fait que le politique entendait modifier en profondeur le statut d’artiste. Qu’en est-il ?

BM : Ce n’est pas nouveau. Mais il ne s’agit cette fois sans doute que d’un effet d’annonce du politique destiné d’abord à répondre à la grogne du secteur culturel qui a été jugé « non essentiel » dans le cadre de la crise du Covid. Même s’il y a aujourd’hui de plus en plus de gens qui se sentent artistes, on estime à 3 % seulement les artistes en Belgique qui peuvent « vivre complètement de leur art ». Et encore, ils ont très rarement une carrière plane. Tous les autres ont un statut mixte, alliant leur qualité d’artiste à un statut prédominant de salarié, d’indépendant, de chômeur, de pensionné… Les dispositions sociales et fiscales de chacun de ces cas sont décrites en détail dans l’ouvrage.  


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